À la fin du 18e siècle, le théâtre, divertissement par excellence des classes privilégiées du siècle des Lumières, n’a toujours pas sa place dans la cité de Calvin. Pourtant les spectacles de rue, animés par des artistes itinérants, ne furent jamais complètement bannis de la cité. Dès lors, que subsiste-t-il à présent de ces arts vivants ? Comment Genève, malgré un passé rigoriste, a-t-elle su se réinventer et offrir aujourd’hui une pléthore d’offres culturelles tout en cultivant une contre-culture foisonnante qui a fait émerger de nombreux artistes genevois sur le devant de la scène suisse et internationale ? Tels sont les propos de ce dossier consacré aux Arts Vivants : (re) découvrir les hauts lieux de la culture lyrique, théâtrale ou alternative de Genève, à travers ses nombreux festivals et les différents spectacles à venir.
Terre d’accueil des exilés du protestantisme, Genève crée, grâce à Calvin, son Académie, afin d’attirer ce qui lui manque : savants et intellectuels, poètes et écrivains. Pourtant, point de théâtre !
Dans son ouvrage Genève, espaces et édifices publics, Isabelle Brunet explique que « du Moyen Âge au XVIIIe siècle, et à la différence de la majorité des villes d’Europe, il n’existait à Genève aucune salle ou espace dédié spécifiquement aux arts, que ce soit le théâtre, la musique ou les arts plastiques. Cependant, le théâtre de rue, pour les besoins duquel on dressait de façon éphémère des tréteaux, était bien sûr connu dès l’époque médiévale ».
En effet, après l’adoption de la Réforme, les politiques critiquées par les instances religieuses n’accordaient qu’avec parcimonie les autorisations de se produire aux troupes de passage ; le théâtre étant considéré comme responsable d’une acculturation et accusé de détourner du travail, et des cercles – garants des bonnes mœurs de la ville – ainsi que de la « sociabilité genevoise ». Les enjeux politiques et culturels d’une mutation de sociabilité. « L’identité genevoise est fondée sur trois piliers : l’économie de la ville, son régime politique et ses mœurs. Mœurs qui sont maintenues par des usages genevois, ce que nous appellerions la sociabilité. »
Rousseau évoque plusieurs fois, dans sa Lettre à M. d’Alembert (à propos de son article sur Genève), les spectacles en plein air ou bien les fêtes. Cependant la forme de sociabilité spécifiquement genevoise, garante des bonnes mœurs de la ville, ce sont les cercles. En effet et malgré leurs inconvénients, « on joue, on boit, on s’enivre, on passe les nuits en garantissant la séparation des sexes » (les cercles masculins et les sociétés féminines étant bien distincts), les cercles protègent les hommes de l’effet amollissant, à la fois physique et moral, de la fréquentation des femmes, à rebours du théâtre qui, lui, les réunit « journellement dans un même lieu. (…) Dès l’instant qu’il y aura comédie, adieu les cercles, adieu les sociétés ! (…) On ne saurait se partager entre tant d’amusements : l’heure des spectacles étant celle des cercles les fera dissoudre ».
Cette « querelle du théâtre » entre Rousseau, d’Alembert et Voltaire contribuera à donner de la cité calviniste une image particulièrement rigoriste et hostile aux spectacles. En réalité, malgré les diverses interdictions prononcées au cours du XVIIe siècle, les jeux scéniques ne furent jamais complètement bannis de la cité. À côté des spectacles de rue, animés par des artistes itinérants, des représentations destinées à un public restreint se donnaient dans des auberges ou chez des particuliers.
Durant cette période, l’acceptation officielle du théâtre oscillera entre tolérance et restrictions : ce n’est qu’aux XIXe et XXe siècles que diverses salles de spectacle seront construites : le Grand Théâtre en 1879 ou encore le Casino-Théâtre en 1887 et plus tard la Comédie, au début des années 1900. C’est ainsi que près de deux siècles plus tard, on dénombre à Genève plus d’une vingtaine de théâtres comme le Théâtre de poche, le Théâtre Saint-Gervais, le Théâtre du Loup ou le Galpon, et environ une quinzaine de salles de spectacles à l’image du BFM, du Grütli, du Victoria Hall ou encore de l’Alhambra.
Faisant partie des monuments emblématiques de la ville de Genève, le Victoria Hall peut se targuer d’être à la fois un bâtiment architectural majestueux et une salle de concert réputée pour son acoustique extraordinaire et son orgue colossal.
C’est sous l’impulsion d’un consul d’Angleterre féru de musique, Sir Daniel Fitzgerald Packenham Barton, que le projet voit le jour. En 1894, avec l’aide de l’architecte genevois John Camoletti, il lance les travaux de cette salle de concert, qu’il dédie à la reine Victoria, sa souveraine. C’est une véritable œuvre d’art avec sa façade aux traits des Beaux-Arts, son intérieur stuqué tout de rouge vêtu, qui rappelle ses influences néo-Rococo. Cettesalle, qui devait en premier lieu être destinée à la fanfare de l’Harmonie nautique, que Sir Barton avait créée, sera finalement donnée, en 1904, à la ville de Genève.
Malheureusement, 80 ans plus tard, le bâtiment est victime d’un grave incendie qui détruit en partie le décor intérieur néobaroque du peintre Ernest Biéler. Qu’importe, la ville restaure le bâtiment et remplace le décor initial par une œuvre plus contemporaine signée Dominique Appia. On retrouve, sur le plafond, les peintures des personnalités liées à l’histoire de l’édifice comme Ernest Ansermet, fondateur de l’OSR, ou encore le conseiller administratif Claude Ketterer. Son point d’orgue est son instrument éponyme, monumental parmi les plus célèbres au monde. Commandé à la manufacture Theodor Kuhn de Männedorf, le premier orgue sera installé au Victoria Hall en 1894 et fonctionnera jusqu’en 1946. Par la suite, un nouvel orgue sera inauguré en 1949 par Pierre Segond, organiste suisse.
Dédiée tout particulièrement à la musique classique, la salle reçoit également de grands noms de la chanson, du jazz ou des musiques du monde, tels que le grand jazzman Sidney Bechet en 1949, ou encore la pianiste Nina Simon en 1992. Et même le célèbre compositeur de musique de films, Vladimir Cosma, est venu raconter ses fables grâce au talent de conteur de l’acteur Lambert Wilson en 2006. Plus récemment, c’est le pianiste de jazz Chick Corea, membre du groupe Miles Davis, qui est venu enchanter les oreilles des Genevois.
L’OSR a été fondé en 1918 par Ernest Ansermet, qui le dirige jusqu’en 1967. Il compte 112 musiciens permanents. L’orchestre assure des concerts d’abonnement à Genève ainsi qu’à Lausanne, les concerts symphoniques de la Ville de Genève, le concert annuel en faveur de l’ONU, ainsi que les représentations lyriques du Grand Théâtre.
L’Orchestre de la Suisse Romande a donné son premier concert au Victoria Hall de Genève le 30 novembre 1918. En vision-naire éclairé, Ernest Ansermet a su, malgré un contexte difficile, redonner ses lettres de noblesse à la musique de son temps. Il est resté quarante-neuf ans à la tête de l’orchestre, dont il a façonné l’identité et forgé la renommée. Ernest Ansermet a accompagné son essor tout en contribuant à la découverte et au soutien de compositeurs contemporains comme Igor Stravinsky, Frank Martin et Benjamin Britten, dont plusieurs des œuvres ont été créées à Genève par l’OSR. Homme d’une intelligence hors normes ainsi que d’une culture musicale particulièrement riche (piano, clarinette, percussion ou composition), il a constitué un patrimoine musical dont ont hérité ses successeurs et qui perdure encore aujourd’hui. L’Orchestre de Suisse romande vit ainsi de ses racines qu’il a su développer sous la baguette des différents chefs d’orchestre qui s’y sont succédés. Retenons parmi eux quelques directeurs artistiques, qui, par leur personnalité et leur style, ont marqué le public et les musiciens de leur empreinte. Ainsi, Amin Jordan, le Biennois « ami » des musiciens, s’est positionné dans la lignée du fondateur, tandis que Marek Janovski, musicien germano-polonais, était connu pour son intransigeance et son perfectionnisme. Jonathan Nott, chef britannique et actuel directeur, défend des valeurs d’ouverture, de créativité et d’excellence. Il accorde particulièrement d’importance au partage des connaissances et à l’inspiration qu’il souhaite transmettre aux jeunes artistes.
C’est d’ailleurs l’une des missions de l’OSR : promouvoir la musique symphonique auprès des jeunes d’aujourd’hui qui deviendront le public de demain. Des concerts spécifiques pour le jeune public sont donc organisés régulièrement, comme les Concerts en famille au Victoria Hall ou encore les Concerts pour les petites oreilles avec la possibilité d’essayer les instruments.
Durant plus d’un siècle, l’OSR a été dirigé par les plus grands chefs d’orchestre et a accompagné les meilleures solistes en Suisse et dans le monde. Depuis 1929, il collabore étroitement avec la Radiotélévision suisse (RTS). Grâce à elle, l’orchestre est diffusé sur les ondes radiophoniques, permettant ainsi un rayonnement bien plus large. Par ailleurs, sa collaboration avec la maison Decca – compagnie britannique – a donné naissance à des enregistrements légendaires, qui ont confirmé sa présence sur la scène musicale internationale. Sa renommée a ainsi grandi au fil du temps, grâce à des enregistrements historiques et à son interprétation des répertoires français et russe du XXe siècle. Actuellement en partenariat avec le label Pentatone, l’Orchestre de Suisse romande enregistre deux à trois disques par saison.
En Suisse, l’OSR donne des concerts au Victoria Hall à Genève, au Palais Beaulieu à Lausanne et joue de la musique d’opéra et de ballet pour le Grand Théâtre de Genève. Reconnu mondialement, l’orchestre suisse a effectué de nombreuses tournées internationales qui l’ont mené dans les salles les plus prestigieuses d’Europe (Berlin, Londres, Vienne, Salzbourg ou Saint-Pétersbourg), d’Asie (Tokyo, Séoul ou Shanghai), ainsi qu’en Amérique : New-York, San Francisco, Boston ou encore Buenos Aires et São Paulo.
Enfin, l’Orchestre de Suisse romande est l’hôte de plusieurs festivals tel que le Budapest Spring Festival, Le Lucerne Festival, les Nuits Romantiques à Aix-les-Bains ou encore le Gstaad Menuhin Festival et le Septembre Musical de Montreux.
« L’OSR cultive un esprit international d’ouverture pour tous »
Éclairage par Steve Roger, Directeur général de l’OSR
« Il est difficile de définir un public genevois type, car celui-ci est intrinsèquement multiculturel. Par conséquent les personnes qui viennent assister à nos concerts sont le reflet de la population locale. Ainsi avec le concert annuel pour l’ONU nous pouvons attirer un public très international, issu des ONG et de la Genève international. Il s’agit d’une population cosmopolite qui a l’habitude de voyager, et qui est en droit d’attendre à Genève ce que l’on peut trouver à New-York, à Londres, à Paris ou à Berlin : apprivoiser ce public est une manière pour l’OSR de continuer à cultiver une tradition d’ouverture et d’excellence. D’un autre côté, nous multiplions les efforts pour attirer et initier un public plus jeune et plus néophyte : nous proposons par exemple des concerts pour les écoles, en partenariat avec le canton. Sans oublier les familles, et tous nos abonnés qui nous soutiennent et qui sont de plus en plus nombreux. Depuis sa création et grâce à la vision d’Ernest Ansermet, la vocation de l’OSR est de partager la culture avec le plus grand nombre, de favoriser l’accès à la musique. Pour autant aujourd’hui nous aimons penser que le public aime également venir pour se divertir : c’est dans ce sens que nous avons créé Genève-Plage, afin de proposer aux auditeurs et à la musique d’investir des lieux insolites, où l’écoute ne se fera pas du tout de la même façon qu’au Victoria Hall. C’est également une autre manière de sensibiliser les Genevois qui n’ont pas l’habitude de venir aux concerts ».
Si Genève passe trop souvent pour une petite ville provinciale coincée sur les bords du lac Léman, sa situation géographique fait pourtant d’elle de facto un pôle tourné vers l’international. N’en déplaise à ses détracteurs, elle n’a rien à envier à ses voisins, en témoigne la richesse de sa scène artistique, dont voici un aperçu composé de personnalités d’hier et d’aujourd’hui :
La première, et non des moindres, est Jacques Dalcroze, que l’on considère comme le Père de la rythmique. Le compositeur et musicien est originaire de Sainte-Croix dans le canton de Vaud, mais il s’installe à Genève rapidement. À la fin du 19e siècle, alors qu’il enseigne l’harmonie au Conservatoire de Genève, il décide de rompre une approche purement théorique pour élaborer la rythmique, pédagogie interactive et pluridisciplinaire fondée sur la musicalité du mouvement et de l’improvisation. De ses recherches menées en Allemagne, matérialisées par des spectacles orchestrés par Adolphe Appia et par la suite grâce à une collaboration avec l’intelligentsia européenne, naît le premier institut éponyme qui ouvre ses portes à Genève en 1915. Celui-ci totalise aujourd’hui environ 2600 élèves : des enfants aux adolescent, en passant par les adultes et seniors. Promu citoyen d’honneur, Jacques Dalcroze y poursuivra son œuvre jusqu’à sa mort le 1er juillet 1950.
Dans un autre registre, les acteurs Michel et François Simon, père et fils nés à Genève, ont marqué de leur empreinte plusieurs générations. Le premier, à la voix tonitruante, est l’un des monstres sacrés du théâtre et du cinéma du siècle dernier. Il a joué dans 145 films dont La Poison de Sacha Guitry, Le Vieil Homme et l’Enfant de Claude Berri et dans plus de 150 pièces de théâtre. Il a reçu plusieurs hommages de personnalités du cinéma, notamment celui de Charlie Chaplin qui l’a désigné comme « le plus grand acteur du monde ».
Son fils, François, est quant à lui à la fois acteur et metteur en scène. Il débute sa carrière à Paris chez Georges Pitoëff, puis revient à Genève en 1948 pour participer à l’aventure du premier « Théâtre de poche ». Dix ans plus tard, il fonde avec Louis Gaulis, Philippe Mentha et Pierre Barrat « le Théâtre de Carouge » dont il devient le premier directeur et où il met en scène, pour la première, La Nuit des Rois de Shakespeare. En 1969, François Simon débute une carrière plus soutenue au cinéma en tenant le rôle principal de Charles mort ou vif du réalisateur Alain Tanner et en tournant avec d’autres cinéastes tels que Francesco Rosi ou Patrice Chéreau.
Pour rester dans la même veine, mais plus contemporaine, on se doit d’évoquer le réalisateur Alain Tanner. C’est à 17 ans, lorsqu’il découvre le cinéma italien de Rossellini, Fellini ou Visconti, qu’un déclic se fait. Il continue de l’explorer par la suite à travers ses périples maritimes. Il considère aujourd’hui qu’il a eu de la chance : « en cinquante années, j’ai traversé ce qui fut probablement la période la plus passionnante du cinéma, avec la remise en question des formes anciennes, la rupture des vieilles structures et l’arrivée de la modernité. Dans plusieurs de mes films, j’ai mis en scène le rapport des anciens et des nouveaux. La lutte des générations, cela n’existe pas. Ce que j’ai voulu exprimer, c’était au contraire une vraie relation au travers du passage témoin, de la transmission d’un certain savoir. Et de la mémoire. » Il se fait connaître notamment avec Les Années lumière, Grand prix au Festival de Cannes ou Dans la ville blanche, César du meilleur film francophone. Depuis 2014, ses archives se trouvent à la Cinémathèque suisse.
Pour la scène théâtrale, on pense à François Rochaix, directeur de théâtre et metteur en scène qui fonde et dirige à la fin des années 1990 le Théâtre de l’Atelier de Genève, puis devient par la suite directeur du Théâtre de Carouge, titre qu’il reprendra de 2002 à 2008, après une parenthèse internationale. Il monte durant cette période une sélection hétérogène allant de Shakespeare à Beckett, en passant par Brecht et Labiche. Dans ces mêmes années, il a le privilège de mettre en scène la Fête des vignerons de 1999.
Le Grand Théâtre fait partie des bâtiments emblématiques à Genève. Il est la plus grande structure artistique de la Suisse romande et accueille régulièrement des spectacles d’art lyrique et chorégraphique de manière saisonnière. Il reçoit également des représentations de concerts et récitals, qui lui offrent un rayonnement à la fois suisse et international.
Durant la Réforme protestante, sous l’influence de Calvin, le théâtre est inter-dit à Genève. Ce n’est qu’au milieu du 18e siècle que les administrateurs de la ville acceptent de construire un bâtiment dédié. Et c’est grâce à l’appui de Voltaire, qu’en 1738, une première salle de spectacle est aménagée au Jeu de Paume de Saint-Gervais, mais malgré cela, l’année suivante, la Cité de Calvin refuse de laisser entrer les comédiens. Finalement, le théâtre de Rosimond, surnommé « La Grange des Étrangers » vient prendre la relève en 1766, mais il brûle à peine deux ans plus tard.
Et ce n’est qu’à la fin du siècle qu’un nouveau bâtiment est construit : le Théâtre de Neuve, en lieu et place du théâtre de Rosimond. Malheureusement, celui-ci, mal équipé et trop exigu, est démoli en 1879. Les autorités ont l’idée de le reconstruire, mais c’est seulement grâce à l’héritage du duc Charles de Brunswick que la construction du Grand Théâtre est finalement rendue possible. Grand œuvre de l’architecte Jacques-Élisée Goss, qui s’est inspiré d’un dessin de l’artiste Henri Sylvestre, le Grand Théâtre ouvre ses portes à la fin du siècle 19e siècle, le 4 octobre 1879, avec la représentation du Guillaume Tell de Rossini lors du gala d’ouverture.
Le superbe bâtiment est inspiré de l’Opéra Garnier à Paris. Son style s’inscrit à la fois dans la mouvance des Beaux-Arts et celle du Second Empire. Sa façade tripartite est ornée de nombreuses sculptures et moulures dont quatre statues situées sur l’avant-corps central du socle. Elles représentant respectivement l’allégorie de la tragédie, de la danse, de la musique et de la comédie. Cet avant-corps se termine sur un fronton dont le tympan porte les armoiries de la ville de Genève. Le grand foyer, décoré par Paul Millet, est ornementé de fresques évoquant la musique tragique et joyeuse, tandis que le petit foyer et les escaliers immenses sont l’œuvre des artistes genevois Léon Gaud et Francis Furet. Ils sont ornés d’une décoration ostentatoire dans le goût de l’historicisme français et figurent dans la liste des bâtiments classés de Genève.
Malheureusement, en 1951 lors de la prépa-ration d’un effet pyrotechnique prévu dans le dernier acte de la Walkyrie, la salle, la cage de scène et les toitures sont détruites par un immense incendie. Heureusement les façades, le foyer et la bibliothèque de 1877 sont épargnés : de gigantesques travaux sont alors entrepris. La salle et les coulisses sont rénovées et agrandies – créant 1500 sièges au lieu de 1200 – par deux architectes, le Genevois Charles Schapfer et le Milanais Marco Zavelani-Rossi. La décoration est quant à elle confiée à l’artiste suisse Jacek Stryjenski, qui crée spécialement un immense plafond en voie lactée, baptisé Alto. Le Grand Théâtre ne rouvre ses portes que dix ans plus tard, en 1962, avec le Don Carlos de Verdi.
Finalement, plus de 50 ans plus tard, entre 2016 et 2019, le Grand Théâtre fait peau neuve. Il délocalise alors, durant ces quatre années, son activité à l’Opéra des Nations. Le fameux site de Neuve est amélioré sur le plan architectural, sécuritaire et, patrimonial, avec l’ajout d’interventions contemporaines comme le bar de l’amphi-théâtre. Le bâtiment retrouve son public le 12 février 2019 avec Das Rheingold de Wagner.
Le théâtre accueille des productions d’art lyrique et chorégraphique, ainsi que des concerts et récitals. Il dispose d’un chœur et d’un corps de ballet permanents. Enfin, bien qu’il ne possède pas son propre orchestre, le Grand Théâtre bénéficie des prestations de l’Orchestre de la Suisse romande (OSR), ainsi que, tous les deux ans, de celles de l’Orchestre de chambre de Lausanne.
« Un lieu de rencontres et de découvertes artistiques uniques pour tous les Genevois »
Éclairage par Aviel Cahn, Directeur général du Grand Théâtre
« Genève est une ville de lettres et de musique ; de théâtre beaucoup moins au regard de son histoire. Avoir un beau théâtre comme le nôtre ou comme la Comédie, qui est plus un théâtre de prose, apparaît presque comme une singularité ! Il me semble malgré cela que le Grand Théâtre devrait représenter pour la cité un lieu d’envergure, de rayonnement international d’un niveau culturel remarquable. Et pour les Genevois, un lieu de rencontres, d’expériences, de découvertes artistiques, mais surtout un endroit pour vivre des moments uniques.
La ville a une forme d’intellectualisme culturel qui est lié tant à son histoire avec Rousseau et Voltaire qu’à son historique diplomatique. C’est pourquoi on ne peut pas parler d’un seul public, d’un public « général », mais plutôt de publics spécifiques, souvent difficiles à réunir en un même lieu ou lors d’un même événement. C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que l’offre culturelle est aussi variée à Genève. Le quidam qui va à Paris ou à Milan n’aura pas les mêmes attentes ni envies que celui qui reste cantonné à sa ville. Il y a une forme d’élitisme : le premier portera ses choix vers les musées ou les opéras, tandis que le second se tournera peut-être plus vers une autre forme de divertissement.
Avec ce que nous avons vécu ces deux dernières années, l’habitude, le goût de sortir s’est un peu perdu. Il faut une forme de courage pour oser retourner au théâtre ou aller voir des spectacles. Parce qu’effectivement, la peur est toujours présente. Pour certains, être « enfermé » dans un lieu clos avec beaucoup de monde, pendant plusieurs heures, est devenu angoissant. Rappelons-leur que le Grand Théâtre, c’est 1500 places dans un espace aéré, qui offre la sécurité nécessaire.
Finalement, de manière générale, c’est la société tout entière qui doit réapprendre à sortir, à vivre tout simplement. Et au même titre que d’autres institutions culturelles de Genève, je considère que cela fait aujourd’hui partie de notre mandat : nous avons un rôle sociétal à jouer, celui de redonner confiance à notre public afin que celui-ci revienne à la culture ».
Restons sur les planches, mais dans un ton plus léger avec Laurent Nicolet et Marina Rollman, humoristes genevois, tous deux reconnus à l’international. Le premier, s’il s’est fait connaître sur son territoire dans l’émission Ça cartonne à la TSR, a acquis une notoriété hors de ses frontières en 2012, grâce à sa reprise du tube planétaire Gangnam Style en Gen’vois staïle. La seconde s’est fait connaître en 2013, grâce à l’impulsion de son compatriote Thomas Wiesel, mais également en participant au Festival du rire de Montreux, au Jamel Comedy Club et à des premières parties de Gad Elmaleh. Faisant partie de cette nouvelle génération d’humoristes féminines, son humour se démarque tant par un ton à la fois ironique, noir et tendre, que par ses inflexions de voix si caractéristiques.
Dans un autre registre, Kiyan Khoshoie fait figure d’électron libre. En effet, ce danseur genevois a offert, en 2019, au Théâtre du Grütli, un one man show intitulé Grand Écart, qui se situe à la croisée de la danse et du théâtre. Ce spectacle raconte sa vie de danseur et son expérience du milieu, qu’il fustige affectueusement. Ce Genevois helvèto-iranien s’est exilé à la Rotterdam Dance Academy à l’âge de 19 ans, où il a suivi une formation classique et contemporaine. Ses études terminées, il exerce son talent auprès de It dansa à Barcelone, de Dansgroep à Amsterdam, ou encore du Scapino Ballet à Rotterdam. De retour à Genève, il enseigne aux apprentis de la filière CFC danseur des Arts appliqués, ainsi qu’aux élèves de l’école privée Dance Area.
Bifurquons ensuite vers le monde de la musique, pour s’intéresser à Thierry Fischer, chef d’orchestre d’origine genevoise, qui dirige, durant 5 ans, l’Orchestre de chambre de Genève (OCG). Par la suite, il a construit la majorité de sa carrière à l’étranger en conduisant notamment l’Orchestre philharmonique de Séoul comme chef invité et l’Utah Symphony Orchestra en tant que directeur artistique. Il revient dans sa patrie en 2014, le temps d’un double concert l’OSR à Genève et à Lausanne. Aujourd’hui, il est actuellement directeur musical du São Paulo Symphony. Être chef d’orchestre, c’est à ses yeux « créer des possibles dans un monde d’impossibilités, c’est la magie de la création. »
Toujours dans la musique, mais dans une autre tonalité, Maurice Magnoni, compositeur et musicien de jazz, est l’un des fondateurs et coordinateur des Ateliers de l’Association pour l’encouragement de la musique improvisée (AMR), ainsi qu’à l’origine de l’École professionnelle de jazz et de musique improvisée (AMR-CPMDT). Il continue en parallèle sa carrière professionnelle en Suisse et en Europe.
Pour terminer, ce compositeur, musicien et chanteur, est membre fondateur du groupe de rock électronique Young Gods fondé en 1985 avec Cesare Pizzi au sampler et Frank Bagnoud à la batterie. Franz Treichler est un pilier de la scène alternative, figure de l’activisme genevois qui a pourtant raflé le premier Grand Prix suisse de musique et qui s’aventure dans différentes collaborations artistiques en danse contemporaine, cinématographie ou théâtre.
Pourtant un tout autre milieu aussi riche et foisonnant existe dans la cité de Calvin. Genève se transforme alors en « Kalvingrad », à la manière d’un pied de nez magistral à son fondateur et ses idées rigoristes, mais également pour dénoncer la fermeture de la plupart de ces espaces culturels autogérés et le climat pesant d’une ville « propre-en-ordre ». En effet, Genève apparaît à première vue comme une ville prospère, à l’image de ses immenses villas au bord du lac, des nombreuses banques, d’une industrie horlogère qui semble florissante, ainsi que de ses organisations internationales qui drainent une clientèle aisée. Pourtant, malgré ces images d’Épinal, la ville possède une autre facette : une pauvreté que l’on cache, un milieu associatif très actif, et surtout, un terreau artistique riche et différent, à l’œuvre au sein d’un milieu underground insoupçonné.
Le Grütli, ou le CPDAV (acronyme imprononçable !), est plus qu’une salle de spectacle. C’est un centre culturel pluri-disciplinaire qui regroupe sous le même toit de la danse, de la performance, du théâtre et même du cinéma. C’est un lieu à part, dédié aux arts vivants.
Inaugurée en 1989, La Maison des arts du Grütli est une propriété de la ville de Genève. Bâtie sur une ancienne école de 1873, elle est transformée en ce qu’elle est aujourd’hui par le bureau d’études Jean Stryjenski et Urs Tschumi.
Tout récemment en 2018, le Théâtre du Grütli est renommé « Centre de production et de diffusion des arts vivants », soit l’acronyme CPDAV quasi imprononcable, mais en définitive assez limpide quant à la finalité du lieu. Un endroit dans lequel sont produits des spectacles, c’est-à-dire où ils naissent, où ils ont été pensés, élaborés puis sont diffusés ici ou ailleurs.
C’est également une place dans laquelle les artistes viennent « en résidence », y travailler, y réfléchir ou se ressourcer grâce aux espaces qui portent bien leur nom : la Salle du bas, la Salle du haut, mais aussi le Gueuloir et la Terrasse. C’est à la fois un lieu de passage, plein de bruit et de fureur, dans lequel on danse dans les couloirs, on pianote sur les claviers, on dessine, on peint, on sculpte dans les ateliers et on voit des films dans des salles dédiées. On s’y restaure même, au café : c’est une véritable « maison », avec ses moments familiaux et collectifs, à l’instar des lectures, des tables rondes ou des discussions : autant d’occasions e vivre des moments exceptionnels de partage avec des personnes remarquables !
En bref, le Grütli c’est un véritable lieu de créativité, bouillonnant, dynamique, ouvert à tous sans distinction, qui pré-sente des spectacles de disciplines diverses, des spectacles contemporains qui posent un regard sur notre monde parfois ironique, parfois critique, mais souvent plein d’humour. La partie cinéma de la maison accueille d’ail-leurs les grands festivals de Genève : le Black Movie, festival international de films indépendants, le FIFDH, Festival du film et forum international sur les droits humains, ou encore le GIFF, le Geneva International Film Festival.
Le mouvement alternatif né dans les années 70 regroupait les mouvements sociaux gravitant autour des squats, des mouvements écologistes et pacifistes, avec pour voie commune de privilégier une désobéissance civile s’inscrivant dans une culture autogestionnaire. Genève était réputée pour cette vie alternative bouillonnante, qui aujourd’hui apparaît en difficulté, en raison de la fermeture de nombreux squats et lieux de création. Fort heureusement, quelques lieux mythiques résistent néanmoins, à l’instar de l’Usine, Undertown, l’usine Kugler ou encore l’Écurie. Ces salles, garantes d’une pluralité artistique, ont permis par le passé l’émergence de nombreux talents comme Young Gods, groupe de rock, pilier de la scène alternative et qui a remporté le premier Grand Prix suisse de musique.
La monteuse vidéo Vanessa Decouvette raconte dans son web documentaire Kalvingrad, une histoire de la culture alternative à Genève, l’histoire des squats, de la scène musicale underground, de l’Usine et d’Artamis, indissociables de ce milieu parallèle genevois qui revendique un autre mode de vie.
Depuis plus de 50 ans, le Théâtre de Carouge fait renaître les grandes œuvres du répertoire qu’il revisite. Les spectacles qu’il propose sont majoritairement créés sur place, mettant ainsi en valeur les différents artisanats liés à l’art théâtral. Depuis 2008, son essor est grandissant tant d’un point de vue artistique qu’en termes de rayonnement en Suisse ou à l’étranger. Ce théâtre attire toutes les classes d’âges et couches sociales, et il a la chance, depuis l’année dernière, de fonctionner dans un nouvel écrin qui le mènera sans aucun doute à l’aube d’une nouvelle ère.
Est-ce grâce à un concours de circonstances, à des auspices bienveillants ou au talent d’un petit groupe de jeunes comédiens plein de fougue qu’est né le Théâtre de Carouge ? Un petit peu des trois, dirons-nous. Shakespeare a changé la donne, lorsqu’en été 1957, Hamlet est joué en plein air au Théâtre antique de l’École internationale, dans la version d’André Gide. François Simon est à la fois le metteur en scène et l’acteur principal, et il est entouré de jeunes comédiens motivés, dont Philippe Mentha. À la suite de cette prestation décisive, le groupe se met à la recherche d’une salle pour s’implanter de manière permanente. C’est finalement Louis Gaulis, futur auteur maison, qui déniche, à Carouge, la Salle du Cardinal-Mermillod, ancienne chapelle transformée en salle de paroisse et vouée à la démolition. La compagnie y prend ses quartiers et devient le Théâtre de Carouge : celui-ci y restera durant 10 ans.
Lors de l’ouverture du théâtre en 1958, c’est La Nuit des Rois qui y est jouée : ce choix, qui n’est pas anodin, signifie au public son ambition de proposer des pièces choisies pour leur caractère universel : de Shakespeare à Tchekhov en passant par Brecht et Beckett, ainsi que des créations d’auteurs locaux comme Louis Gaulis ou José Herrera Petere. Le public est conquis et la salle se distingue par la qualité de son jeu. Malheureusement lorsqu’en 1967, la destruction de la Salle Mermillod devient inéluctable, la troupe n’a aucune vision de son avenir quant à son relogement… Elle devient donc itinérante pendant près de 5 ans, faisant résonner le nom de Carouge sur trois continents lors d’une tournée internationale. Par bonheur, la compagnie est également accueillie par d’autres scènes genevoises comme la salle Pitoëff, dans laquelle elle restera trois ans, et elle collabore aussi étroi-tement avec la Comédie de Genève et le Centre dramatique romand. Finalement, un financement ayant été trouvé, le Théâtre de Carouge s’installe dans la salle François-Simon en 1972, salle qui comporte 400 places et le plus grand plateau de Suisse romande. Il joue lors de sa première, à l’instar de 1958, La Nuit des Rois. Cependant, à la suite de différents problèmes de fonctionnement, Philippe Mentha quitte la direction du Théâtre.
Les débuts sont difficiles en raison de subventions quasi inexistantes, alors un rapprochement stratégique se fait avec le Théâtre de l’Atelier, lui aussi « sans théâtre fixe ». Les deux s’associent et forment une direction artistique collégiale, avec à leur tête Maurice Aufair, Guillaume Chenevière, François Rochaix et George Wod. Ce mode de direction fonctionne un temps, mais la différence des personnalités créant parfois un manque de cohérence, le public s’y perd. C’est alors finalement François Rochaix qui prend, seul, la direction du théâtre et renoue avec le grand répertoire. Son successeur George Wod portera le Théâtre de Carouge aux nues en quintuplant le nombre d’abonnés dès la première saison. Il doit notamment cet audacieux succès à une mise en scène spectaculaire de classiques comme Cyrano de Bergerac. Il sera également l’initiateur de grandes tournées internationales qui porteront la troupe jusqu’en Russie ou au Vietnam. Puis en 2002, c’est le grand retour de François Rochaix. Metteur en scène de la Fête des Vignerons de 1999, il jouit désormais en Suisse et à l’international d’une certaine notoriété et appose sa griffe sur la programmation du théâtre. Il propose un répertoire classique (Tartuffe, Œdipe à Colone, entre autres) sur une mise en scène plutôt contemporaine.
Finalement, l’année 2008 marque un tournant dans la direction du théâtre, car Jean Liermier, nommé directeur, est le premier à n’avoir aucun lien avec les fondateurs du Théâtre. Tout en restant fidèle au grand répertoire du théâtre populaire, il ouvre son plateau à de personnalités reconnues de la scène francophone et internationale comme André Engel, Laurent Pelly, Michel Piccoli, Dominique Blanc ou encore Laurent Terzieff. Et, dès sa nomination, il laisse entendre la nécessité de rénover le bâtiment en pro-fondeur. Le Théâtre de Carouge connaît de nouveau une période d’itinérance de 2017 jusqu’à l’année dernière.
En janvier 2022, il inaugure son nouveau Théâtre, équipé de l’ensemble des locaux nécessaires à son fonctionnement, dont la grande salle de 468 places, une petite salle, une salle de répétitions, des ateliers de fabrication de décors et de costumes. Tout cela sur un seul et même site.
Double éclairage par Jean Liermier, directeur, et David Junod, administrateur du Théâtre de Carouge
« Carouge est l’endroit, et cela remonte à des siècles, où les Genevois affectionnent particulièrement de sortir, s’amuser, profiter des bars, des restaurants et de ses Théâtres.
Au 18e siècle, par exemple, les horaires des représentations étaient calculés afin de permettre aux visiteurs de rentrer chez eux avant la fermeture des portes de la Cité de Calvin. L’histoire du Théâtre de Carouge est belle, car dès son origine en 1958, ce sont des artistes, par la force de leur travail, qui ont écrit ses lettres de noblesse. Ce sont les spectacles qui ont fait sa notoriété, et encore aujourd’hui, même s’il n’y a plus de troupe, il y règne un état d’esprit très singulier, qui fait la part belle à l’artisanat et au plaisir du Théâtre. Au début de l’aventure, personne ne croyait à ce théâtre dans une ville d’ouvriers. Pourtant, il y a eu cette coaptation des habitants de Carouge, et par extension, de Genève. Cela a créé quelque chose qui perdure : un théâtre à la fois de création, d’Art, populaire et accessible.
Nous intervenons à tous les niveaux de la chaîne de pro-duction : de la conception du spectacle à la composition des équipes, au recrutement des comédiens, en passant par la fabrication des costumes, des décors, les répétitions puis les représentations. C’est fondamental dans notre vision du théâtre. Depuis plus de dix ans maintenant, nous tournons nos spectacles, en les jouant urbi et orbi. Cela a augmenté considérablement notre aura, tout en nous faisant grandir. En effet, travailler avec des grands noms de la mise en scène crée une synergie particulièrement enrichissant pour tout le monde.
Durant le pic du Covid, nous nous en sommes sortis en partie grâce à l’amour des spectateurs qui ont eu la gentillesse de nous soutenir. En cela, notre théâtre appartient en grande partie à son public : il était là avant nous et sera là après nous. Nous avons pu mesurer l’impact que la fermeture des lieux de spectacles a eu sur le moral, sur la santé mentale des gens.
Cette pandémie, durant laquelle nous avons honoré tous les contrats que nous avions passé, a finalement également apporté du positif, et nous avons dû nous réinventer, gagner en réactivité et en agilité. Par exemple, en créant des cap-sules vidéo, un standard téléphonique où les personnes s’inscrivaient et à l’heure dite, un comédien ou une comédienne les appelait pour leur faire la lecture d’un ou deux textes, suivi d’une discussion. Cette nouvelle forme de transmission a vraiment été profitable pour le public et les artistes. De même, nous avons travaillé avec la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle (FASE) qui s’occupe d’enfants et de jeunes adultes. Avec les éducateurs, nous avons mis au point des mini-initiations avec des groupes très restreint forcément, mais cela a permis de faire découvrir notre art à des personnes qui n’avaient jamais mis les pieds au théâtre. Et nous avons développé notre travail d’itinérance, en proposant avec notre camion-théâtre des spectacles « dans les campagnes » des communes du canton, rendant ainsi la culture accessible au plus grand nombre, en extérieur. Ce fut une révélation pour beaucoup, y compris pour nous ! »
L’Usine, qui a fêté ses trente ans il y a peu (en 2019), est l’un des derniers bastions de cette culture alternative des années 90. Au départ centre culturel alternatif, autogéré, il regroupait collectifs et associations dans une ancienne usine genevoise de dégrossissage d’or. Ce n’est toutefois qu’en 1998 qu’elle devient le lieu que l’on connaît aujourd’hui. De la scène hardcore au reggae, en passant par le hip-hop ou l’électro, ainsi que par des manifestations, expositions ou concerts, l’Usine est un lieu qui met en avant l’art, sous toutes ses formes. Il est constitué de plusieurs entités comme le Post Tenebras Rock (PTR) qui (co) produit des concerts et œuvre pour la promotion du rock à Genève, le Zoo pour les fans de musique électronique, ainsi que le Spoutnik pour les cinéphiles.
La Parfumerie est également un lieu majeur de cette scène artistique à part. Ce sont plusieurs compagnies de théâtre indépendantes : Le Théâtre Spirale, la Compagnie 100% Acrylique, le Théâtre Séraphin et Michel Faure – metteur en scène et scénographe – qui se sont associés pour partager un lieu où développer leurs activités artistiques respectives, afin de toucher un plus large public. L’État de Genève leur a donc alloué ces locaux anciennement occupés par l’usine Firmenich, et qui a donné son nom à l’association. Celle-ci a donc construit un premier espace : la salle de l’Arve – le Théâtre, puis un second pour y créer un espace d’accueil du public et une buvette : le Grand Café de la Parfumerie. Ce lieu reçoit aussi des ateliers pédagogiques pour jeunes acteurs et danseurs, des performances ou des concerts.
Finalement, L’Îlot 13, petit bout d’utopie en plein milieu de la ville, dans le quartier des Cropettes ; plus ancien squat de Genève, il est constitué de quatre immeubles et d’un centre de quartier autogéré. Ce lieu hors du temps abrite également une salle de concert, des ateliers d’artistes et d’artisans. Ce sont environ 450 personnes qui vivent ici.
Situé au premier étage de la maison communale de Plainpalais, le théâtre Pitoëff est ouvert aux compagnies professionnelles actives à Genève, pour des résidences de création. Il accueille également des festivals subventionnés par la ville de Genève.
Le théâtre Pitoëff occupe une place à part dans le paysage artistique genevois. Il fait partie d’un ensemble de locaux qui forment la Maison communale de Plainpalais. Celle-ci est édifiée entre 1907 et 1909 par Joseph Marshall. Ce n’est toutefois qu’en 1949 qu’il prend son nom actuel, en mémoire de la compagnie de Georges Pitoëff qui l’occupa de 1915 à 1922.
Par la suite, le lieu est le théâtre de différents travaux de moyenne importance, qui se dérouleront entre 1926 et 1968 avec, en particulier, la construction des gradins au parterre et à la galerie, ainsi que l’agrandissement du cadre de scène, le recouvrement des parois par du velours rouge et du sol par de la moquette.
Si sa gestion est confiée au Service culturel de la Ville (SEC), l’animation est pour sa part respectivement confiée à l’Association du Théâtre en Cavale puis à l’As-sociation Théâtre Mediterraneo jusqu’en juillet 2015. Par la suite, c’est la compagnie Utopie qui prend sa place et s’installe en résidence jusqu’en décembre 2018. Finalement, au début de l’année suivante, le théâtre Pitoëff s’ouvre aux compagnies professionnelles actives à Genève, pour des résidences de création de six semaines au maximum. Le but avoué étant de favoriser une diversité de la création locale.
Enfin, dès l’année prochaine, le théâtre accueillera des résidences de recherche ou de développement par des compagnies et artistes dans le domaine du théâtre et des arts du récit.
Éclairage par Thierry Apothéloz, Conseiller d’État chargé de la cohésion sociale
« Genève est un canton de culture. Historiquement la Ville de Genève a un poids culturel extraordinaire : avec les autres communes, elle a apporté sa richesse et sa diversité à notre région. Parallèlement, le canton a un rôle majeur à jouer car il a, lui aussi, une politique culturelle importante et toujours en expansion. Dès lors il paraît difficile de parler d’une seule forme de « sensibilité genevoise ». Cependant, on peut considérer que le public genevois est un public exigeant, dans le bon sens du terme. Il a une certaine appétence pour la nouveauté, tout en étant attaché aux classiques. Je crois que les directions des théâtres l’ont assez bien compris. L’enjeu est de taille, et l’objectif est d’arriver à diversifier le public dans les différents lieux de culture proposés, tout en redonnant aux Genevoises et aux Genevois l’envie de sortir. Par-delà la crise sanitaire, il demeure comme une forme de « timidité culturelle » qui existe dans certains milieux, comme si certains lieux étaient réservés de facto à une élite.
Or, à Genève, nous avons la chance d’observer une diversité de population très importante, qui permet justement de casser ces codes et ces préjugés. Pour beaucoup, aller à l’opéra revient à s’ennuyer alors qu’au contraire, entre la danse et la musique, c’est une occasion de vivre des émotions uniques, sublimes ; tout autant que d’aller écouter un concert de musique alternative.
Aujourd’hui plus que jamais, les Genevoises et les Genevois ont besoin de s’évader, de rire, de se réhabituer à sortir tout simplement. Et c’est à partir de là qu’il faut questionner notre capacité à faire revenir le public. Notamment en réfléchissant aux horaires ou aux tarifs, mais également en décentralisant les lieux de culture : c’est là toute la force du festival Antigel par exemple, qui va chercher les spectateurs au pied des immeubles. C’est finalement cela qu’il faut transmettre aux institutions : sortir des sentiers battus.
Après avoir entendu pendant deux ans « restez chez vous ! », il faut aujourd’hui en prendre le contrepied : « Allez-y sortez, profitez, osez ! ». La culture doit être porteuse d’enthousiasme, et nous en avons besoin aujourd’hui plus que jamais. Dans ce contexte où le covid nous laisse un répit, il y a deux objectifs : le premier est de retrouver une forme de vie collective après deux ans d’individualisme ; et le second de (re)vivre des émotions, des passions, dont la culture reste toujours le marqueur idéal. »
Fondée en 1973 par des musiciens passionnés par la scène des musiques de jazz et d’improvisation, l’AMR encourage la création et le développement d’une scène musicale genevoise authentique.
Dans les années 70 à Genève, de jeunes musiciens novices autant que confirmés se regroupent régulièrement pour pratiquer leur inclinaison commune : l’improvisation. À l’époque, ce type d’exercice faisait bien souvent référence aux musiques d’origine afro-américaine comme le jazz moderne, voire avant-gardistes, mâtinées d’un soupçon de rock, de fusion, et également à la musique indienne et arabo-persane. Or, il n’existait rien de tel dans la cité de Calvin, ni aux alentours. Orphelins, ces musiciens n’avaient ni structure d’enseignement, ni lieu où répéter, ni salle de concert. Cependant, cette même année, sous l’impulsion d’un professeur, le CPM monte un cours de jazz traditionnel pour clarinettistes-saxophonistes. Une idée germe alors : créer une association pour développer les outils et moyens de cette passion collective. C’est ainsi que naît, trois ans plus tard, en 1973, l’AMR. L’Association trouve alors un lieu pour collaborer et travailler la musique improvisée tout en développant sa propre transmission sous forme d’enseignement : ainsi furent créés les Ateliers de l’AMR en 1975.
Continuant sur sa lancée, l’association réussit à obtenir un soutien financier pour organiser quelques concerts et stages, ainsi que tenir une antenne permanente. Puis on assiste à l’éclosion de son premier festival en collaboration avec la commune de Meinier. L’année suivante, l’AMR s’associe avec la Cité universitaire pour donner naissance au festival Patino. Parallèlement, elle réussit à obtenir des locaux de répétition et d’enseignements réguliers et commence à organiser des concerts hebdomadaires, ainsi que des jam-sessions occasionnelles. Deux ans plus tard, toujours en collaboration avec la Cité universitaire et la salle Patino, elle développe une programmation régulière dans une véritable salle de concert et crée dans la foulée le Festival du Bois de la Bâtie qui deviendra le Festival de la Bâtie.
Ce n’est que huit ans après sa création, en 1981, que l’AMR obtient enfin une reconnaissance de la part des autorités genevoises, qui mettent à sa disposition le bâtiment surnommé le Sud des Alpes, et qui deviendra son centre musical. Celui-ci est pleinement dédié à la musique et géré par des musiciens. C’est à la fois un endroit de production et de diffusion (organisation de concerts régionaux et internationaux), un lieu de rencontre et de travail pour les musiciens (individuel et collectif) et enfin un lieu d’enseignement dans lequel se tiennent les ateliers de pratique musicale de l’AMR. Cette organisation complexe a été pensée par les fondateurs, car elle représentait pour eux l’outil privilégié pour le développement et la diffusion de cette pratique artistique, à savoir réunir trois pôles de la création en un même lieu, autour de personnes qui tendent vers un but commun. Depuis lors, l’AMR et son centre musical sont devenus l’un des pôles de la vie culturelle genevoise. L’association présente chaque année plus de 200 soirées musicales publiques et deux festivals (l’un offert et en plein air dans le parc des Cropettes à la fin juin, l’autre payant au printemps). Elle collabore également à d’autres programmations en partenariat avec des acteurs locaux, nationaux et internationaux. Finalement, elle organise 45 ateliers hebdomadaires de pratique musicale en orchestre et de nombreux stages.
Musique, danse, théâtre et performance diverses, la Bâtie-Festival de Genève met en lien spectacles vivants, chorographies, concerts et DJ avec un éventail d’artistes nationaux et internationaux. Chaque année à la rentrée pendant quinze jours, c’est l’occasion pour le public de découvrir les tendances actuelles les plus saisissantes, dans plus d’une vingtaine de lieux de Genève, de France voisine et même du canton de Vaud. Proposant une programmation à la fois pointue et populaire, curieuse et festive, elle mêle artistes émergents et confirmés. Elle apparaît aujourd’hui comme un rendez-vous incontournable de la scène artistique pluridisciplinaire de Suisse.
La première édition de ce festival a lieu en 1973. Il était alors appelé Pop Estival car organisé par l’association Pop Show & Co, composée des membres du groupe genevois Éruption au Bois de la Bâtie (d’où la manifestation tire son nom). Le festival se tiendra sous cette forme durant 4 ans, à la fin desquels Jean-François Jacquet, fondateur des Amis de la musique de recherche (AMR) en prend la direction, afin de promouvoir la création alternative. D’une durée de 3 jours, ce festival gratuit se tient au mois de juin. Cependant, il se métamorphose petit à petit sous l’impulsion de son nouveau président et prend de l’ampleur en s’allongeant ainsi d’une semaine, puis de deux.
Dix ans après, le Festival change doublement : il se tient désormais en septembre et quitte son lieu d’origine, devenant ainsi l’événement culturel incontournable de la rentrée. Il entame dès lors une migration au centre-ville, conformément à la volonté de ses organisateurs : présenter, dans des lieux urbains, des spectacles issus d’une culture plus underground, non institutionnelle, afin de lui donner une forme de légitimité au cœur de la cité.
Au début, le festival occupe uniquement les salles gérées par la ville : les maisons de quartier, les cinémas indépendants, les parcs et d’autres lieux non dévolus à la culture. Puis de fil en aiguille, le paysage culturel genevois évolue. Les lieux de représentation essaiment et plusieurs scènes dédiées aux artistes indépendants émergent : La Maison des arts du Grütli et l’Usine en 1989, le Théâtre du Loup les années suivantes. Tous deviennent naturellement des partenaires de ce festival grandissant. Puis en 1992, le Festival de la Bâtie développe des collaborations transfrontalières et intercommunales en investissant de nouveaux lieux de la culture alternative : Le Chat Noir à Carouge, la Halle Weetamix à Vernier ou encore l’espace Vélodrome à Plan-les-Ouates.
Ce n’est finalement qu’après 29 éditions, en 2002, que la ville et le Canton de Genève reconnaissent la pertinence du festival, en décidant de le soutenir. Ils signent donc avec lui une convention de subventionnement tout en lui confirmant une autonomie artistique grâce à une gestion déléguée. De son côté, l’association prend du galon et se transforme en fondation en 2010. Cette transformation majeure marque une transition décisive dans l’histoire de ce festival qui rompt avec son passé associatif.
Cette culture alternative se transmet également par le biais de trois festivals d’importance : Antigel, festival à la croisée des explorations artistiques en tout genre : musique, poésie, danse, art contemporain, théâtre et cinéma ; la Bâtie-Festival de Genève, qui se veut pluridisciplinaire ; et la BIG, ou Biennale insulaire des espaces d’art et de collectifs artistiques à Genève, qui a lieu tous les deux ans. La dernière édition s’est déroulée en juin 2021 à la Perle du Lac. Elle met à l’honneur les arts plastiques, mais aussi la danse, le théâtre et la musique, avec l’idée de faire découvrir ces espaces et ces arts-là, considérés comme underground, à un public plus large afin de mettre en avant des artistes confirmés ou émergents.
De ces festivals qui au départ ont un lien avec le milieu alternatif genevois, on retient une forme de gentrification qui se traduit par un soutien de la ville et la transformation de l’association en fondation pour l’un, un public intergénérationnel pour l’autre, et une délocalisation dans un lieu accessible pour le dernier. Tous ayant pour point commun d’être finalement intégrés dans le programme culturel de la ville, rompant ainsi avec leur passé associatif.
Actif depuis plus de dix ans, le Festival Antigel est devenu une véritable institution pour la ville de Genève et les autres communes participantes. Cette manifestation, qui a lieu tous les ans depuis 2011, propose, vingt jours durant, une centaine de spectacles répartis dans près de quarante lieux, souvent insolites, parfois éphémères, mais toujours originaux, se répartissant dans une vingtaine de communes du canton. Antigel, c’est la volonté de se trouver à la croisée des explorations artistiques en tout genre : musique, poésie, danse, art contemporain, théâtre, cinéma : les arts vivants dans toute leur splendeur.
Né en 2011, le Festival Antigel s’est construit avec la volonté de faire bouger la culture et de la faire migrer dans toutes les communes qui composent le territoire genevois, afin d’offrir une offre culturelle plus riche et diversifiée. Il propose à son public d’explorer des lieux inconnus ou insolites transformés en scènes pluridisciplinaire. L’idée étant d’offrir au public une programmation artistique accessible mais de qualité, que ce soit en danse, en performance, ou encore en musique. Le Festival joue ici un rôle fédérateur pour le terreau artistique local, combinant ainsi les disciplines et les publics afin de créer une synergie nouvelle.
Lors de ses précédentes éditions, Antigel a investi 43 des 45 communes du canton, 3 communes transfrontalières et habité plus de 200 lieux. Proposant concerts, spectacles de danse, performances, expositions, sessions de sports en musique, parcours artistiques, soirées clubbing et autres événements hors du commun, le festival a attiré un public intergénérationnel, de tous horizons, qui représente environ 55 000 spectateurs. Ce mélange des genres et des disciplines propose aux spectateurs un voyage culturel extraordinaire.
Parmi les événements marquants de ces dernières années, on pense aux concerts qui ont lieu dans les bains thermaux ou les piscines communales, des spectacles qui se sont tenus au dépôt des Transports publics genevois (TPG) ou encore au Jardin botanique ou aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). C’est une belle opportunité pour le public de voir ces lieux communs d’un œil neuf, car sortis de leur contexte, et donc de vivre une expérience culturelle inédite.
Éclairage par Jean-Pierre Greff, directeur de la HEAD – Genève
« Certains projets menés à Genève, tel que celui de la Nouvelle Comédie, montrent combien un projet ambitieux peut, à lui seul, contribuer à renouveler la dynamique d’une ville et requalifier un quartier entier. Un vrai dynamisme culturel est en marche actuellement à Genève : pour exemple, le projet de rénovation du Bâtiment d’art contemporain (MAMCO + Centre d’art) est enfin lancé. Déjà très fort et repéré à l’international, ce lieu important de la culture contemporaine avait un besoin criant de rénovation. Il faut également saluer le nouveau projet culturel du MAH, qui apporte un renouveau stimulant, mais qui nécessite encore une infrastructure adéquate. Le Grand Théâtre est lui aussi en pleine forme, la danse, dont Genève est une ville phare, bénéficie d’une vitalité nouvelle, avec notamment l’élégant Pavillon de la danse. Et last but not least, le projet du Plaza qui me tient particulièrement à cœur va également contribuer à la richesse culturelle de Genève tout en faisant revivre, nous l’espérons, tout le quartier central de la rive droite.
La vitalité des espaces alternatifs et la dynamique qui existe entre ces structures indépendantes et les institutions de la ville sont certainement une autre des spécificités de Genève. L’offre culturelle est de ce fait extrêmement large et variée. Ces structures alternatives doivent continuer à se multiplier car elles insufflent un renouvellement permanent à la vie culturelle genevoise.
Et puis la création artistique n’est pas seulement un vecteur de promotion des valeurs humaines ; elle en est l’essence même. Aujourd’hui, à leurs échelles respectives, aussi bien la HEAD qu’une manifestation inter-nationale, comme la Biennale de Venise qui vient d’être inaugurée, attestent que les questions postcoloniales, les questions de genre et d’inclusion, l’antiracisme et la lutte contre toute forme d’exclusion ou de ségrégation sont au cœur du travail des artistes.
Je suis persuadé que tout milieu culturel repose sur trois piliers : la formation, la production et la diffusion. S’il semble que les piliers de la formation et de la diffusion sont maintenant puissamment implantés à Genève, le point faible reste celui de la production/création. C’est aujourd’hui un enjeu majeur que de réussir à fixer les artistes à Genève. La ville doit devenir plus hospitalière pour eux, ce qui veut dire leur proposer des ateliers accessibles. Cela veut dire aussi leur offrir les conditions de la construction d’un écosystème de la production artistique, et que celui-ci soit diversifié. Peut-être que ce qui manque le plus aujourd’hui à Genève, c’est que la ville soit accueillante pour les acteurs et actrices de la création au sens plus large, à travers toute l’étendue du champ du design, des designers graphiques aux designers de mode. Cela veut dire, créer des zones d’activité, des lieux de fabrique, avec des loyers adaptés, des infrastructures mutualisées, etc. Même s’il s’agit là d’entreprises commerciales, il faut les soutenir. C’est la mise en place de ce type de conditions qui permettra la naissance de pôles repérés dans tous les domaines de la création. »
Créée en 1913, cette institution centenaire a mué pour se transformer en théâtre flambant neuf au cœur de la gare des Eaux-Vives. Ce lieu de vie et de création a été conçu pour accueillir tous les publics, pour leur faire vivre des expériences étonnantes, inédites, et sur-tout provoquer la réflexion et l’émotion. La Comédie de Genève déroule une nouvelle page de son histoire en faisant la part belle aux artistes romands, suisses et internationaux. Outre le théâtre, la danse contemporaine et le cirque d’auteur occupent une place importante dans la programmation.
C’est en 1959, le 21 février exactement, La Comédie, avant d’être un théâtre, fut une troupe fondée en 1909 par Ernest Fournier. Il inaugurera par la suite son théâtre du même nom, boulevard des Philosophes, au début de l’année 1913. Son projet vient d’une idée commune avec l’Union pour l’art social. Ce mouvement, soucieux de mettre l’art à la portée de tous, veut former les classes populaires au goût du Beau. L’architecte Henry Baudin, qui en fait partie, conçoit une salle de 800 places dans laquelle est joué un répertoire contemporain français et des classiques.
Durant son premier siècle d’exploitation, la Comédie de Genève croise plusieurs figures emblématiques de l’époque telles que Georges Pitoëff, Jacques Copeau, Giorgio Strehler, Benno Besson et quelques comédiens français en exil dont Gérard Oury. Malgré cela et une aide de la Ville, l’exploitation est difficile et le fondateur y laissera son héritage et sa santé. En 1947, La Ville de Genève décide de sauver le théâtre et le rachète, signifiant ainsi la fin de la troupe engagée à l’année. Celle-ci sera rapidement remplacée par des tourneurs parisiens comme les Galas Karsenty-Herbert. Toutefois, cette (mauvaise) habitude fut rapidement brisée lorsque le directeur Richard Vachoux prit la tête du théâtre en 1974. Ce faisant, il redonna une place importante à la création romande, tout en marquant une véritable rupture avec ces prédécesseurs. Malheureusement, cinq ans plus tard, le théâtre est traversé par une grave crise financière. Pour s’en sortir, la Comédie constitue cette même année, en 1979, la Fondation d’art dramatique (FAD) pour en assurer la gouvernance et lui permettre de retrouver un nouveau souffle. Cette nouvelle impulsion, la Comédie continuera de l’entretenir grâce à la succession de plusieurs directeurs et d’une directrice à la tête de l’institution, chacun et chacune inscrivant son empreinte particulière pour la faire évoluer et devenir ce qu’elle est aujourd’hui.
Double éclairage par Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer, co-directeurs de la Comédie de Genève
« La Comédie à Genève, c’est un peu une institution. C’est un lieu où, historiquement, on a pu découvrir les plus grandes mises en scène locales et internationales. Pour les Genevois de souche, c’est souvent là-bas que l’on découvre la scène, le théâtre. Malheureusement, les locaux, bien que pleins de charme, sont devenus vétustes, plus vraiment adaptés à ce qu’est devenu le théâtre en Europe et dans le monde.
Or, cela fait 30 ans que le monde de la scène genevoise se bat pour obtenir un théâtre à la hauteur de ses ambitions… et nous l’avons eu, enfin ! La Comédie n’est pas un lieu immense, mais c’est un théâtre qui ouvre enfin des possibles au rayonnement international. Nous avons la chance d’accompagner le passage de cet ancien lieu, à la fois superbe et prestigieux, vers une nouvelle vie, vers un futur qui se tient désormais aux Eaux-Vives. Ce qui a rendu cette aventure accessible, c’est d’être fortement implantés tant dans le cœur de la ville que dans celui des Genevois. Car un théâtre, c’est une affaire de cœur avant tout. Grâce à ce nouveau rayonnement, nous avons quadruplé nos abonnés, ce qui dans le contexte sanitaire actuel n’était pas une mince affaire. On les a apprivoisés en quelque sorte, les uns après les autres. On les a rencontrés et c’est un véritable lien de confiance qui s’est tissé entre le public et nous. Ils nous ont suivis, ils ont accepté d’être surpris, décontenancés, d’aller marcher dans la neige en écoutant de la musique techno, de se baigner en assistant à un concert de rock, bref de vivre des expériences insolites et originales. Le public genevois est très curieux, très ouvert. Et très hétéroclite, les jeunes générations se mélangent aux anciennes. Il y a une vraie mixité dans tous les (bons) sens du terme. Ce qu’il faut retenir de ces deux dernières années difficiles, c’est la valeur de la culture et du théâtre. Finalement, le fait d’en avoir été privés nous a permis de nous rendre compte de leur caractère précieux et essentiel. »
Cependant, tout n’est pas perdu pour cette culture dite alternative : si plusieurs acteurs sont rentrés dans le rang, elle continue de perdurer de manière différente dans le milieu social. En témoignent les nombreuses initiatives proposées à Genève. On pense notamment à Dan Acher, artiviste social dont « la passion, c’est l’humain » et qui a créé Happy City Lab, qui explore les espaces collectifs pour créer des situations et événements qui renforcent le lien social. Ciné Transat, Boréalis ou encore les pianos de Jouez, je suis à vous en sont des exemples réussis.
Dans le même esprit, l’art contemporain sort des sentiers battus et s’installe en ville pour valoriser la diversité des expérimentations artistiques. Que ce soient des œuvres pérennes, des expériences éphémères ou des programmes artistiques événementiels. Dans un esprit de transdisciplinarité Genève offre à ses habitants des rencontres riches et inédites aux carrefours de l’art et de l’environnement urbain. Un projet récent à citer : l’œuvre de l’artiste Rudy Decelière The Wind You Never Felt qui a été pensée et réalisée pour le Pavillon de la danse. Elle a été inaugurée en septembre 2021, accompagnée du solo Shadowpieces III, chorégraphié par Cindy Van Acker.
Lieu à l’architecture unique, le Bâtiment des forces motrices est un modèle de réhabilitation réussie. Inauguré en mai 1886 comme usine, il l’est une seconde fois plus d’un siècle plus tard, comme lieu protéiforme accueillant des concerts, opéras et spectacles de danse. Le BFM est aujourd’hui un incontournable du paysage architectural et artistique de la ville de Genève.
Le bâtiment est édifié au milieu du lit du Rhône, à la fin du 19e siècle, par l’ingénieur et politicien Théodore Turrettini. Après que le Grand Conseil de la République et le Canton de Genève aient cédé les forces motrices à la Ville, les travaux démarrent en novembre 1883, afin de construire une usine qui aura pour fonction d’alimenter les fontaines, maisons et usines de la cité, en leur fournissant, par un système de pression, les eaux du Rhône. Trois ans plus tard, les cinq premiers groupes de turbines sont mis en action pour l’inauguration. Deux fournissent de l’eau en ville et les trois autres à l’extérieur (sur une distance de dix kilomètres). Presque dix ans après, la grande aile du bâtiment est terminée. Et ce sont dix-huit groupes de pompes et de turbines qui sont désormais en fonction. Le bâtiment en forme de L, aux façades très classiques ponctuées de grandes baies vitrées en arc, donne l’impression d’être posé sur le fleuve. Le frontispice qui fait face au lac et à la ville est orné sur la partie supérieure de statues représentant Neptune, Cérès et Mercure. À l’intérieur, les deux ailes forment un espace immense. En 1988, il est classé bâtiment historique : une réflexion est lancée quant à sa nouvelle vocation, plutôt d’orientation culturelle. C’est finalement grâce à la générosité d’un mécène genevois qu’une salle de spectacle de 985 places, adaptée à ce lieu unique, voit le jour. Véritable prouesse technique en raison des contraintes du bâtiment (largeur et hauteur restreintes notamment), la nouvelle pièce – appelée Salle Théodore Turrettini – est entièrement construite en bois pour des raisons de légèreté de structure et d’acoustique. Ne reste de la fonction première du lieu que deux pompes, témoins de son passé industriel. La salle construite par l’architecte Bernard Picenni a pour fonction première d’accueillir la saison 1997-98 du Grand Théâtre durant les rénovations de celui-ci, puis à l’avenir d’être utilisée à des fins événementielles ou pour la présentation de spectacles. C’est ainsi que le Bâtiment des forces motrices prend désormais une nouvelle identité et un nouveau nom, symboles de sa renaissance : le BFM, qui a notamment eu le plaisir de recevoir l’Orchestre de Suisse romande venu fêter son centenaire en proposant des concerts pour enfants et adultes.
Éclairage par Sami Kanaan, Conseiller administratif chargé du Département de la culture et de la transition numérique
« Genève est intrinsèquement dotée de valeurs culturelle extrêmement riches et variées, à l’œuvre dans le patrimoine classique, mais aussi dans la culture innovante. On oublie souvent de le rappeler : historiquement, c’est une ville de musique, qui possède également un patrimoine collectif innovant particulièrement important, valorisé par ses musées. Notre ville est reconnue en Suisse pour ses créations. Par ailleurs avec le nombre de hautes écoles qui se professionnalisent, beaucoup de personnes viennent tenter leur chance à Genève. Cela crée ainsi une forme d’émulation, avec des artistes très créatifs qui n’hésitent pas à briser les codes et à varier les formes. Du coup on mélange aisément le théâtre, la danse, la musique… Le résultat est très vivant et bienvenu après deux années de crise ! En effet nous devons redonner aux Genevoises et aux Genevois l’envie de sortir. Le vrai défi aujourd’hui, c’est de ne pas tenir son public pour acquis : il faut créer de nouvelles vocations.
Côté artistes, la pandémie a mis en exergue l’intermittence de notre système et nous travaillons donc à améliorer leur statut professionnel et leurs assurances sociales. Une autre problématique existe sur le plan matériel cette fois-ci : le manque de locaux abordables et bon marché. L’artiste a certes besoin d’un revenu, mais aussi d’un espace polyvalent où il peut créer, répéter, se réunir, voire ponctuellement rencontrer son public. Je crois fondamentalement que la création artistique doit être également un vecteur de promotion d’autres valeurs fondamentales : nos artistes y sont très sensibles ».
Représentant l’un des derniers piliers de la scène genevoise dite alternative, la Cave 12 est une salle de concert pour musiques expérimentales et avant-gardistes exigeantes. À (re) découvrir de toute urgence !
La Cave 12, qui existe depuis 1989, a fait ses débuts dans les sous-sols de Rhino, pour finalement y rester dix-huit années. Par la suite, elle est devenue nomade – passant de salle en salle – pendant presque sept ans, en raison de la fermeture des squats et autres lieux de rencontre alternatifs. Ce n’est qu’en 2013 qu’elle a finalement pris ses quartiers au centre-ville, dans des locaux loués et aménagés majoritairement par la Ville de Genève.
La salle de concert de l’association éponyme a pour objectif de faire connaître et de diffuser des musiques « sous-représentées », qu’elles soient électriques, acoustiques, improvisées ou électroniques. Le fil rouge étant la recherche dans le domaine musical actuel. En offrant une visibilité à ces styles musicaux « expérimentaux », elle participe au rayonnement de ces musiques hors normes. Une autre partie de son activité consiste également à s’occuper de l’édition de supports sonores.
Pour cela, elle organise majoritairement des concerts et offre chaque année à plus de 150 projets de se produire sur scène. La salle, d’une capacité de 250 personnes debout ou 60 personnes assises, propose un gabarit unique qui crée de facto une ambiance intimiste propice à l’écoute d’une musique avant-gardiste et innovante. C’est l’une des rares structures en Suisse à promouvoir ce type de concerts. La Cave 12 a ainsi accueilli près de 5 000 artistes et plus de 100 000 spectateurs tous âges confondus, pointilleux sur la musique. Collaborant également de manière étroite avec différents festivals genevois comme La Bâtie Festival, le Festival Archipel, l’Électron Festival ou encore la Fête de la musique, ainsi qu’avec des associations comme l’AMR, le Spoutnik et L’Usine notamment, elle se positionne comme une actrice incontournable du tissu musical genevois. De même, sa participation régulière à d’autres événements musicaux d’envergure hors de ses frontières, tels que les Instants Chavirés à Paris, l’Embobineuse à Marseille ou le Festival Kraak en Belgique, lui a conféré une solide aura et renommée internationale ; expliquant assurément sa présence incontournable dans les médias suisses et internationaux comme Le Courrier, la TSR, la TV québécoise ou encore Radio Montréal.
Le Théâtre Am Stram Gram a été créé par Dominique Catton, cofondateur de la compagnie Am Stram Gram, et Nathalie Nath. Situé dans un bâtiment conçu par l’architecte Peter Boecklin, il est inauguré en 1992 par la Ville de Genève, sous l’impulsion d’André Chavanne, conseiller d’État. Ce lieu pluridisciplinaire et transgénérationnel est dirigé par Joan Mompart.
Situé au cœur de Genève, ce théâtre est unique, particulièrement en termes architecturaux. En effet, le bâtiment se compose d’un étage exclusif, paré de lettres aux couleurs vives, accrochées à une cheminée de verre. Elles se présentent dans le désordre mais la signification en est aisée en un seul coup d’œil : THAMTREGAMR-SEATRAM. L’intérieur se présente sous forme d’une grande galerie creusée dans la terre : plus on descend, plus ça s’ouvre. Très lumineuse, l’immense verrière permet d’être sous terre, mais à ciel ouvert et l’on y découvre…
Une œuvre aérienne signée Isa Barbier, une galerie qui accueille des œuvres d’art contemporain et des expositions, une bibliothèque où l’on peut bouquiner seul ou en famille, une librairie partenaire de Payot Libraire pour ramener chez soi des œuvres en lien ou non avec le spectacle que l’on a vu et un bar où se désaltérer avec des limonades bio, bières locales, et se sustenter en version sucrée ou salée. Et finalement, se trouve sur le toit un superbe jardin de 400 m2 géré par un collectif.
Le théâtre possède bien sûr deux salles : l’une, d’environ 330 places, est dotée d’un vaste plateau en dispositif frontal, qui laisse apercevoir le ciel ; la seconde, plus intime mais modulable, accueille une centaine de spectateurs. Les représentations proposées s’adressent à tous les publics dès le plus jeune âge, car la jeunesse et l’enfance sont pour les artistes qui se produisent sur ces scènes ainsi que l’équipe, de véritables sources d’imaginaire, d’enjeu artistique, culturel et même politique fondamental.
C’est en 1992 que l’Orchestre de Chambre de Genève voit le jour. Il est composé de 37 musiciens virtuoses qui offrent au public une programmation riche : son répertoire, centré autour de son effectif « Mannheim » idéalement adapté aux compositeur de la période classique (Haydn, Mozart, Beethoven), s’étend du baroque au XXIe siècle, grâce à la curiosité insatiable de l’orchestre tout comme à son aisance à travers les époques et les styles.
L’OCG assure annuellement une cinquantaine de concerts, ainsi qu’une présence dans de nombreux festivals et événements artistiques du bassin lémanique.
Depuis près de 10 ans, l’orchestre est dirigé artistiquement et musicalement par le chef néerlandais Arie van Beek. Ayant également à cœur de promouvoir des œuvres contemporaines, le Maestro a créé des compositions de Suzanne Giraud, Hans, pour ne citer qu’eux. Cette pluralité d’époques et de styles musicaux révèle la curiosité insatiable ainsi que l’agilité de l’orchestre.
Son rayonnement est sans frontière. En témoigne sa collaboration avec des artistes tels que Mischa Maisky, Gauthier Capuçon, Sonya Yoncheva, Natale Dessay ou encore Thierry Fischer, ainsi que sa présence dans de nombreux festivals et événements artistiques de la région lémanique. À l’international, ses récentes tournées en Chine et au Moyen-Orient saluées par la critique et la presse dont Arte et TV5 Monde ont assis son prestige.
Porté par une vision coopérative de la culture, l’Orchestre de Chambre de Genève collabore avec un riche tissu institutionnel dont les acteurs viennent d’horizons musicaux éclectique et variés, du jazz au répertoire lyrique. On peut mentionner notamment le Grand Théâtre de Genève, l’Opéra de Lausanne, l’AMR, la Haute école de musique de Genève, Contrechamps et le Conservatoire populaire de musique.
Enfin, soucieux de soutenir la nouvelle génération et de démocratiser la musique classique, l’orchestre s’engage au travers de différents projets pédagogique et concerts participatifs. En effet, à ses yeux, la musique doit être accessible à tout un chacun:
raison pour laquelle l’OCG a tressé de fructueux partenariats avec plusieurs acteurs sociaux d’importance comme la Fondation Village Aigues-Vertes, l’Association pour le Bien des Aveugles et malvoyants ou encore la banque alimentaire Partage.
Soutenu par la Ville de Genève et par de multiples sponsors, institutions ou donateurs privés, l’Orchestre peut ainsi pérenniser sa vision et transmettre sa passion, son exigence, son engagement et son audace.
La Suisse compte l’une des plus importantes concentrations de festivals au monde ! Cela représente presque 300 festivals de jazz, électro, écolo, rock, blues, funk ou classique. La ville de Genève à elle seule, c’est au minimum plus de 14 festivals qui se déroulent été comme hiver, rythmant les saisons de ses habitants. Et si l’on a évoqué, précédemment, trois festivals d’importance dans le milieu associatif/alternatif, il est important de mentionner les autres, qui mettent en avant la diversité et la richesse culturelle de Genève et d’ailleurs.
La musique, plus souvent qu’à son tour, est mise à l’honneur avec Voix de Fête, créée en 1999 pour dynamiser l’expression musicale francophone actuelle et faire émerger des nouvelles tendances et créations. De même, Archipel est un festival international de création musicale fondé en 1992 pour promouvoir toutes les formes de recherche musicale et d’art sonore, sous forme de concert de musique instrumentale et vocale, de performances et de concerts de musique improvisés. L’AMR Jazz festival encourage, de son côté, la scène musicale genevoise et promeut la musique improvisée.
L’Electron Festival se décline pour sa part en performances live et installations artistiques, ainsi que par une silent party. La ville de Genève participe elle aussi à la fête avec son festival Musique en été, qui se déroule au parc de La Grange et à l’Alhambra. Il représente plus de 30 concerts de jazz, hip-hop, soul, swing, reggae : le tout gratuit !
Le Théâtre Saint-Gervais est situé au cœur de Genève, à deux pas de la Gare Cornavin. Le bâtiment, dont les neuf étages sont dédiés à la création et à la représentation d’arts vivants, possède deux salles de spectacles : l’une de 140 places, située en sous-sol, et l’autre donnant sur le Salève, qui peut accueillir 60 spectateurs. La programmation se compose d’une trentaine de spectacles joués par des artistes aux origines multiples.
Construit par les architectes Lucien Archinard et Jean Zuber, le Théâtre Saint-Gervais a été inauguré en décembre 1964. Imaginé à l’origine dans le cadre d’un centre de loisirs, il prendra le nom de Maison des jeunes et de la culture de Saint-Gervais (MJC) à l’instar des structures françaises. Jacques Rufer, le tout premier directeur, dispose alors d’une salle de spectacle de 300 places qu’il utilise comme atelier théâtral, sous la houlette de François Rochaix et Marcel Robert. Prenant le nom d’Atelier Don Sapristi, ils présentent un mimodrame : Les Cris du silence. Un an plus tard, la compagnie se professionnalise sous le nom de Théâtre de l’Atelier, tout en restant attachée à ce lieu où Rochaix y met en scène Le Chant du fantoche lusitanien de Peter Weiss. Par la suite, d’autres compagnies y seront accueillies, comme les Tréteaux Libres. Plus tard, la salle projette le travail du groupe Cinéma libre qui réunit Francis Reusser, Alain Tanner et Michel Soutter.
En 1969, Max Laigneau devient directeur de la MJC et décide de replacer sur le devant de la scène la fonction première du lieu : un centre de loisirs. Il remet ainsi la salle de spectacle à disposition des groupes d’amateurs. De son côté l’Atelier quitte la MJC et s’associe avec le Théâtre de Carouge. Malgré tout en 1971, un groupe de manifestants investit les lieux pour réclamer un centre de culture autonome et à la suite de cet événement, le Conseil de fondation décide d’expérimenter une direction collective avec les usagers. La MJC se tourne ainsi vers l’international en accueillant des groupes culturels d’immigrés tels que l’Association des travailleurs émigrés espagnols en Suisse et les Colonies libres italiennes.
Près de vingt ans plus tard, des rénovations débutent : elles vont durer deux ans. Les activités de la Maison de Quartier sont donc délocalisées à la Villa du Bout-du-monde et à l’ancien Palais des expositions. Les animateurs Jaime Echanove et Marie-Claude Torelle y dirigent l’éphémère salle du Théâtre Off. Jacques Boesch, quant à lui, est chargé par la Ville de préparer la réouverture de la MJC qui prend désormais le nom de Théâtre Saint-Gervais.
Ville de paix et des organisations internationales, Genève utilise également le cinéma comme vecteur de communication. Ce média se décline également en festivals. On pense notamment au Geneva International Film Festival (GIFF), qui est le plus ancien festival genevois consacré au cinéma. Fondé en 1995, il représente un carrefour des genres et des disciplines, proposant, durant 10 jours, des films, des séries et des installations interactives. Second acteur majeur, le Festival du Film et Forum international sur les droits humains (FIFDH) est l’un des événements les plus importants dédié au cinéma et aux droits humains à travers le monde. Il se tient depuis 20 ans parallèlement à la session principale du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Il propose des films suivis de débats de haut niveau, pour dénoncer toutes les violations des droits humains, partout où elles se produisent. Le Black Movie se positionne pour sa part comme le Festival international de films indépendants. Né d’une envie de montrer des films en provenance des pays d’Afrique, il élargit sa vision aux deux autres continents du Sud que sont l’Asie et l’Amérique latine. Son but étant d’entrer en résonance avec une cinématographie contemporaine, ancrée dans une réalité sociale actuelle. Finalement, le Festival international du film oriental de Genève (FIFOG) promeut le cinéma, la diversité et le dialogue interculturel à travers les œuvres de cinéastes en provenance de plusieurs pays d’Orient et d’Occident.
Situé sur la commune de Cologny, le Théâtre Le Crève-Cœur occupe un bâtiment, créé autour d’un ancien pressoir, au sein d’une demeure familiale. La capacité d’accueil de 60 places de ce théâtre à taille humaine l’autorise à mettre l’accent sur un patrimoine théâtral varié en conservant l’esprit artisanal propre à ce lieu, c’est-à-dire une ambiance humaine et chaleureuse alliant rigueur et qualité.
C’est en 1959, le 21 février exactement, que le Théâtre du Petit-Crève-Cœur donnait sa première représentation. À l’époque, Raymonde Gampert décide de créer un théâtre au sein de la maison familiale. En effet, cette mère de famille est passionnée d’écriture et de mise en scène. Elle décide donc de transformer son ancien pressoir en théâtre afin d’y accueillir plusieurs grands noms de l’époque. Entre 1959 et 1979, on y voit défiler Cocteau, Tchekhov, Tardieu, García Lorca, et également des musiciens, poètes ou écrivains, dont Nicolas Bouvier, ainsi que la chanteuse chilienne Violeta. Tous ont hanté ce lieu atypique, laissant derrière eux les vestiges d’une gloire passée. L’un des enfants de Raymonde y joue par ailleurs régulièrement : il s’agit de Bénédict Gampert, violoncelliste et comédien.
À la suite du décès de la fondatrice, le théâtre ferme ses portes pendant une dizaine d’années et en 1990, le fils prodigue Bénédict Gampert, accompagné de sa femme Anne Vaucher, comédienne et metteur en scène, redonnent vie au Théâtre du Crève-Cœur afin de poursuivre la vision de sa créatrice. La comédienne sera à l’origine des Ateliers-Théâtre destinés aux enfants, adolescents et adultes de 7 à 77 ans et plus… Permettant de développer le jeu théâtral à la fois par l’improvisation et l’interprétation, ils encouragent la confiance en soi, l’écoute des autres et l’enrichissement intérieur. Depuis la disparition en 2007 de Bénédict Gampert, et jusqu’en juin 2014, Anne Vaucher a poursuivi cette mission créatrice entourée par une équipe soudée, compétente et dynamique. Dès juillet 2014, Aline Gampert, troisième génération de la famille à la tête de ce théâtre, en reprend la direction.
Éclairage par Aline Gampert, Directrice du Théâtre Le Crève-Cœur
L’offre culturelle proposée aux Genevois est vraiment riche : rien qu’au niveau des théâtres, on compte facilement une vingtaine de lieux, alors que Genève n’est pas une si grande ville. Et je ne parle même pas des cinémas, musées, galeries, etc… C’est un foisonnement formidable qui colore notre ville et qui nous rappelle le caractère essentiel de la culture. Dans ce sens, les récentes et nombreuses rénovations et constructions de bâtiments, dédiées au domaine artistique ces dernières années, témoignent de la grande volonté de faire de Genève une ville de culture. Côté public, les Genevois sont cultivés et exigeants. Mais au vu de la grande quantité de propositions, le public genevois se dirige plus vite et plus facilement vers ce qu’il connaît. J’ai la sensation que les valeurs sûres le rassurent. Quand il ne connaît pas, il attend souvent que le bouche-à-oreille se fasse ou que la presse s’exprime pour se décider à faire le pas. Pourtant ce sont les mêmes artistes talentueux qui s’emparent de textes, certes moins connus, mais où le résultat est tout aussi génial.
Justement au Crève-Cœur nous privilégions la création et les artistes suisses romands: nous nous définissons comme un théâtre de création, ne produisons que des artistes professionnels, essentiellement locaux et proposons un programme varié et accessible : théâtre, one man show, spectacle musical, opéra-théâtre, cabaret musical, etc. Il faut souligner qu’un théâtre de création crée de l’emploi, représentant ainsi des CDD de plus longues durées. C’est primordial pour la plupart des métiers du spectacle. Si des lieux comme le Crève-Cœur bénéficiaient de subventions plus importantes, cela permettrait de mener des créations à terme, sans devoir toujours soustraire au budget initial tel ou tel poste. Qu’un théâtre ait une capacité de 60, 200 ou 500 places, le tarif est le même quant aux artistes qui s’y produisent.
Enfin après 2 années de crise sanitaire, combien de temps faudra-t-il pour que le public revienne remplir les salles ? Nous avons toutes et tous été fortement marqués par ces deux années de pandémie. Mais ce dont je suis certaine, c’est que l’être humain est capable d’une grande résilience. Cela prendra peut-être quelque temps, mais nous reviendrons à une normalité. Cette sensation de liberté retrouvée nous poussera à envahir la ville et à profiter de ses nombreuses activités culturelles !
C’est en 1985 que Lesley de Senger crée le Festival de Bellerive. Il se tient depuis 1999, dans le superbe domaine de la Ferme Saint-Maurice, situé sur les hauteurs de la commune de Col-longe-Bellerive à quelques kilomètres de Genève, offrant aux amoureux de la musique classique, un panorama grandiose mêlant la douceur du lac Léman à l’âpreté des vignobles.
Un objectif affiché : ramener la musique classique dans la campagne genevoise. Le succès est immédiat, et la première édition est suivie de cinq suivantes. Par la suite il faut déménager et la magie s’arrête pendant près de dix ans. Sous l’influence de certaines de ses connaissances, Lesley de Senger décide de relancer le projet en sollicitant cette fois-ci l’aide de la mairie de Collonges-Bellerive pour obtenir le nouveau de site de son choix : la Ferme Saint-Maurice. C’est donc en 1998 que le festival renaît de ses cendres et se tient dans son nouvel écrin, pensé pour accueillir toujours plus de mélomanes.
Depuis ce nouveau lieu à la vue exceptionnelle, le Festival de Bellerive propose une programmation originale qui se démarque des autres. En effet, la volonté de sa fondatrice est de programmer de jeunes artistes prometteurs à un public connaisseur. Certains d’entre eux sont devenus des piliers incontournables du paysage classique : András Schiff, Mikaïl Pletnev, Quatuor Takács, François-René Duchâble et Emmanuel Pahud entre autres.
Un autre trait caractéristique du festival: fonctionner aux coups de cœur, tant ceux du public que ceux de sa créatrice, avec très souvent de belles découvertes. Se tiendront également durant l’édition 2022, une exposition d’aquarelles de Delphine Gosseries ainsi que des sculptures de Lola-Menthe de la Hoop.
Gardant l’esprit collégial de ses débuts, le Festival de Bellerive, grâce à son lieu insolite et plein de charme, transmet à son public une ambiance chaleureuse et conviviale: voilà également ce qui donne à ce festival hors norme, tout son cachet.
Malgré sa petite taille, ce Théâtre de Poche né dans ce qui était alors un appartement, s’est toujours distingué par ses pièces avant-gardistes, ses créations audacieuses et sa mission dédiée aux textes contemporains.
Créé en 1948 par Paul Fabien Perret-Gentil, dans un appartement situé au 19 Grand-Rue, le Théâtre de Poche se transforme dès 1962 sous la houlette de Richard Vachoux en Nouveau Théâtre de Poche et déménage à la rue du Cheval blanc.
L’objectif premier du Nouveau Théâtre de Poche est de mettre à la portée d’un public populaire l’art du théâtre et les beaux textes. Il assume donc un choix de textes modernes dont les auteurs s’intéressent aux préoccupations contemporaines, le classant ainsi dans la catégorie de « théâtre d’essais ». Son ambition étant « (…) d’aider le public à réfléchir sur les problèmes actuels, mais également de transformer le monde en (…) un espace de rêve et de poésie », le temps d’une représentation.
Un lieu de réflexion en somme, à la fois ouvert et participatif : un terrain de partage donc, s’adressant à tout un chacun pour permettre un dialogue entre le public et les artistes à travers différents exercices comme des discussions ou des ateliers d’écriture entre autres. Ancré dans le monde actuel, il est politiquement, socialement et géographiquement au cœur de la Cité. Au service de la création locale, il présente des artistes confirmés mais encourage aussi l’émergence des talents de demain et permet à ses artistes un engagement sur le long terme (12 représentations minimum).
Enfin, il ne faut pas oublier la Fête du théâtre, qui propose un programme d’activités théâtrales gratuites afin de mettre en valeur le patrimoine des arts de la scène genevois et romand et de célébrer le théâtre sous toutes ses formes.
Si Montreux a son Comedy Festival, Genève a son Festival du rire : initié en 2014 par deux amis, Estelle Zweifel et Tony Romaniello, le Festival prend ses quartiers au Casino Théâtre et propose des spectacles d’humour afin de promouvoir la scène romande.
Depuis deux ans maintenant, victime directe des mesures prises pour lutter contre l’épidémie de Covid, la culture a été stigmatisée. Une lettre ouverte intitulée « No culture no future » fut d’ailleurs signée par une centaine d’associations et de lieux culturels pour dénoncer cet impact négatif. En effet, la culture et a fortiori l’Art, s’ils apparaissent au premier abord comme superflus, permettent pourtant le progrès humain, rien que cela. L’art est essentiel pour nous ramener à l’essentiel. Alors avec la levée de toutes les mesures sanitaires et la restauration de la mobilité, 2022 apparaît déjà comme une année salvatrice. Après tout, et Voltaire avait raison: « une bonne année répare le dommage des deux mauvaises ».