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Entretien avec Sami Kanaan – Genève : préserver l’essentiel en temps de crise

04 Jan 2021
m3 MAGAZINE

Depuis le restaurant du Tennis Club des Eaux-Vives, un établissement de m3 GROUPE, Sami Kanaan a évoqué avec Enzo Lo Bue son parcours atypique, mais aussi sa vision de Genève, pour le meilleur et en temps de crise.

NOUS SOMMES DANS UN CADRE SPÉCIAL. SI CE LIEU DEVAIT ÊTRE CRÉÉ AUJOURD’HUI, CE NE SERAIT PLUS POSSIBLE.

Sami Kanaan : en effet, le Tennis Club des Eaux-Vives est un haut lieu de la vie sportive de Genève, ancien parc qui est le seul à ne pas avoir été légué à la ville de Genève. Mais la commune des Eaux-Vives l’a acheté, il y a une centaine d’années, à l’époque où les Eaux-Vives était encore une commune. Ce parc jouxte celui du plus grand parc par ici, La Grange, ce domaine privé, légué par William Favre à la ville de Genève, à condition que cela devienne un parc public.

VOUS ÊTES NÉ AU LIBAN À BEYROUTH, ET PUIS VOUS AVEZ FAIT UN PARCOURS ÉTONNANT.

Les Libanais sont historiquement des grands voyageurs, commerçant à travers la planète. On est à peu près 10 millions de Libanais dans le monde : 4 sur place et je fais partie de ceux qui vivent ailleurs, environ 6 millions de personnes. J’ai une double origine : ma mère est Suisse-allemande et mon père est Libanais. Le français a toujours été ma langue, car c’était la langue commune de mes parents, on parlait français à la maison et j’ai toujours été au Lycée français à Beyrouth. J’ai fait beaucoup d’allers-retours entre le Liban et l’Europe. Après ma maturité à Berne, j’ai fait des études à l’École polytechnique de Zurich, en Physique.

 

« Je suis dans ma troisième législature et le département que j’ai toujours gardé, c’est la culture. »

 

SUITE À CE PARCOURS ET À CES ÉTUDES DE PHYSIQUE, VOUS DEVENEZ DONC POLITICIEN À GENÈVE ?

Après la physique, j’ai décidé d’étudier les sciences politiques à Genève, ville cosmopolite où les gens d’ailleurs trouvent leur place. Il y a une diversité incroyable. Et puis, j’ai voulu faire de la politique en Suisse car le fédéralisme, la démocratie directe, la diversité culturelle me plaisent. J’ai commencé en étant actif dans le secteur associatif et puis au conseil municipal. Le fait d’être élu tient fort à l’engagement du candidat, engagement dans les associations, dans sa vie professionnelle. Il faut convaincre, pas s’imposer. Je suis dans ma troisième législature et le département que j’ai toujours gardé, c’est la culture. Le département de la culture n’est pas facile mais il est passionnant.

VOTRE NOUVEAU DÉPARTEMENT, DEPUIS JUIN 2019, S’APPELLE LE DÉPARTEMENT DE LA CULTURE ET DE LA TRANSITION NUMÉRIQUE. ON L’UTILISE AU QUOTIDIEN : PAR CONSÉQUENT LE PASSAGE AU NUMÉRIQUE EST ESSENTIEL ?

La culture est un secteur qui est très durement touché par la crise Covid. La culture comprend tous les métiers autour, c’est-à-dire à la fois les musées, les artistes des arts vivants au sens très large, graphistes, techniciens du son, etc. Tout ce qui est créatif en fait, le design, le numérique aussi car il partage cette double obligation d’innover et de s’adresser d’abord à des humains. Sinon le numérique n’est qu’une technique inutile. C’est la deuxième branche en termes d’emploi et de valeur économique.

 

 « Acheter des livres et avoir le contact avec un libraire est précieux. »

 

VOUS ÊTES VOUS-MÊME UN PEU ARTISTE, EN PLUS D’ÊTRE POLITICIEN ?

Oui, la politique c’est un peu la commedia dell’arte ! Mes parents étaient assez proches du monde artistique, il y avait pas mal de discussions avec des intellectuels, des artistes à la maison. J’ai joué un peu de clarinette. J’ai été beaucoup à la Bâtie, voir des concerts. Sinon, actuellement, on le voit avec la crise Covid, il y a un engouement, une passion pour la vie culturelle online, en Suisse et ailleurs. Tout à coup, les gens ont ressenti le sens que la culture peut leur apporter comme s’ils avaient trouvé une façon de ne pas rester dans les problèmes immédiats. Après la réouverture des commerces le 11 mai, les gens se sont rués dans les librairies. Acheter des livres et avoir le contact avec un libraire est précieux. Vivre à Genève en tant qu’artiste est difficile par certains aspects comme le coût de la vie ou le manque de locaux pour les répétitions, par exemple. En revanche, il y a un grand nombre de lieux où ils peuvent se produire.

JE PARLAIS RÉCEMMENT AVEC UNE PERSONNE QUI ME CONFIAIT NE PAS APPRÉCIER LES NOUVELLES CONSTRUCTIONS FAITES SUR GENÈVE, CES DERNIÈRES ANNÉES. ELLE SE DEMANDAIT POURQUOI NE PAS FAIRE INTERVENIR UN PEU PLUS LES ARTISTES DANS LE MILIEU DE L’IMMOBILIER ?

Je suis d’accord. Mais à Genève, il y a parfois un côté 24 carats un peu excessif et le cumul des normes constructives fait que cela limite beaucoup la créativité. Le côté très standardisé est fonctionnel mais pas toujours intéressant sur le plan esthétique.

CETTE PÉRIODE TRÈS COMPLIQUÉE, VOUS LA VOYEZ COMMENT ? Y AURA-T-IL UNE PARTIE DES ARTISTES QUI VONT PARTIR, ARRÊTER CETTE VOCATION POUR AVOIR UN TRAVAIL ALIMENTAIRE ?

C’est un vrai risque. Par exemple, en Angleterre, un tiers de ces métiers sont abandonnés. Ici en Suisse, nous avons un maintien de nos subventions de soutien par rapport aux événements annulés, ainsi que des mesures d’aide fédérales. On a pu préserver l’essentiel. Cela fait des années que nous nous battons pour le statut d’intermittents (statut adapté aux comédiens, aux artistes qui travaillent à fond sur certaines périodes et puis deux mois sans rien et donc le chômage classique ne fonctionne pas bien pour ces personnes), pour préserver un appareil productif, créatif. Pas seulement pour faire la charité !

ET VOUS VOYEZ COMMENT L’AVENIR ?

L’avenir, personne ne peut le prédire mais nous savons qu’en cas d’épreuve (2020 en est une, individuellement et collectivement), l’être humain peut rechercher les nouvelles ressources lui permettant de se recréer. Dans un monde en extrême mouvement, ces ressources seront utiles. Cherchons-les, puis, si on les trouve, diffusons-les.